Récemment, le syndicat interprofessionnel de défense du fromage Morbier a assigné un producteur fabriquant et commercialisant un fromage reprenant l’apparence visuelle du produit protégé par l’appellation d’origine protégée « Morbier », en particulier la fameuse « raie cendrée » séparant les deux parties du fromage.
Il lui était reproché de porter atteinte à l’appellation d’origine et de commettre des actes de concurrence déloyale et parasitaire afin de créer une confusion avec le Morbier et de profiter de la notoriété de l’image qui lui est associée, sans avoir à se plier au cahier des charges de l’appellation d’origine.
Son action ayant été rejetée par les juridictions françaises du fond, qui ont considéré que seule la dénomination « Morbier » était protégée et non pas son apparence ou ses caractéristiques, le syndicat s’est pourvu devant la Cour de Cassation qui a interrogé la CJUE sur ce point.
Il a été statué que les articles 13, § 1, d) respectifs des règlements nos 510/2006 et 1151/2012 doivent être interprétés en ce sens qu’ils interdisent la reproduction de la forme ou de l’apparence caractérisant un produit couvert par une dénomination enregistrée lorsque cette reproduction est susceptible d’amener le consommateur à croire que le produit en cause est couvert par cette dénomination enregistrée.
En bref, la CJUE a jugé que « (...) les AOP sont protégées en tant qu’elles désignent un produit qui présente certaines qualités ou certaines caractéristiques. Ainsi, l’AOP et le produit couvert par celle-ci sont intimement liés » de sorte que les caractéristiques physiques et esthétiques du produit semblent bien entrer pleinement dans la protection accordée à une AOP.
La CJUE a toutefois précisé qu’il convient d'apprécier si une telle reproduction peut induire le consommateur européen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, en erreur, en tenant compte de tous les facteurs pertinents en l’espèce, reprenant un raisonnement utilisé en matière de droit des marques.
La Cour de Cassation a donc cassé et annulé l’arrêt d’appel au motif que le juge n’avait pas apprécié si les reproductions en cause (et notamment la reprise de la fameuse raie cendrée) pouvait induire le consommateur en erreur quant à la provenance du fromage.
Cette décision fait écho à l’affaire Queso Manchego au sujet de la reprise par un concurrent des éléments figuratifs de l’AOP protégée notamment certains paysages et représentations propres à la Mancha, région au sein de laquelle sont élaborés les fromages de l’AOP selon un cahier des charges propre à l’AOP.
En effet, dans cette affaire, la CJUE, interrogée sur questions préjudicielles par la Cour Suprême espagnole avait déjà affirmé sa position qui consistait en prendre en considération les caractéristiques de l’AOP dans son ensemble et non pas la seule dénomination.
Très clairement, la CJUE confirme sa volonté d’accroitre la protection des AOP en prenant en compte la réalité du marché et de la concurrence, en mettant le consommateur et sa perception au cœur de la réflexion.
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